La censure tel que nous la connaissons, n’est pas forcément représentatif de jusqu’où celle-ci peut changer les sociétés en profondeur.
Le billet est rédiger par Cyrille. Il est extrait de son très bon blog Neosting.net.
Le contenu est sous licence CC BY-SA. Vous pouvez consultez l’article à la source : http://neosting.net/actualite/limpact-des-censures-sur-intertnet-sur-les-societes.html
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Jac sm Kee est une chercheuse, poète et féministe Philippine. En menant l’étude eroTICs (https://www.apc.org/en/node/11958), elle a découvert comment la censure, attribuée généralement à l’état, a un impact bien plus large que simplement la parole politique, notamment sur les questions de sexualité, de culture ou encore de choix personnels. Des sujets sur lesquels la censure n’a aucune raison de s’appliquer.
En France, et partout dans le monde, les ordinateurs ayant un accès public à Internet sont trop souvent soumis au filtrage des contenus. Le filtrage n’est ni plus ni moins qu’une censure déguisée, au prétexte fallacieux de protéger les enfants de ce qu’ils ne doivent pas voir. Pourtant ce sont eux qui ont en priorité besoin d’accéder facilement à la connaissance. Mais la censure ne touche pas que les enfants ; elle réduit littéralement le Savoir, et l’intégration des Hommes dans leurs sociétés. En filtrant Internet, on empêche donc les internautes d’accéder à la Culture.
Mais le filtrage ne touche pas que les accès physiques à Internet. De nombreuses sociétés privées pratiquent leurs propres censures, selon leurs propres règles de moralité. Apple est un exemple désormais célèbre pour ses nombreuses censures, tout comme Facebook, le plus gros réseau social au monde. Ce dernier censure de nombreuses œuvres érotiques qui permettraient pourtant à chacun de débattre et de comprendre leurs sociétés. Un exemple simple, relayé sur Google+ (pour tester, mais pour le moment ce réseau semble un peu plus ouvert) et relativement récent, c’est la photo de Laure Albin Guillot qui a été postée par le Jeu de Paume. Le Centre d’art et lieu de référence pour la diffusion de l’image des XXe et XXIe siècles déclare désormais s’autocensurer sur ce réseau. Mais c’est ça où la suppression de son compte.
Quelles conséquences sur la société ? Les enfants tout comme les communautés « dérangeantes », ne peuvent vivre normalement leur sexualité, sans être formatés comme des robots et catégorisés aux normes des « bien-pensants ». Ils sont alors moins enclins à développer leur propre personnalité, et finissent par développer l’irrespect, voire même une certaine forme de haine envers ceux qui sont différents. Internet est donc un espace formidable pour rassembler les Hommes, et les aider à se sentir en harmonie avec leur corps et leurs congénères. Si Internet à ses dangers, ça n’en fait pas un espace dangereux pour autant ; ça en fait un espace où l’on apprend à connaître et à respecter son prochain.
Je tenais à vous retranscrire ces propos traduits en français dans sa vidéo ci-dessous
Quand nous avons commencé cette étude, nous travaillions déjà sur la censure et la surveillance depuis longtemps, parce que la question qui nous intéresse c’est celle d’un Internet ouvert, libre de tout filtrage, de toute censure, etc. Et nous avons découvert un véritable décalage en terme de perception de la censure sur le Net. Les gens s’imaginent toujours que c’est l’État qui censure, et que ce qui est censuré relève du politique, mais il existe tout un tas d’autres types de censures affectant nos vies quotidiennes, et qui ont trait à la sexualité, la libre circulation, l’autodétermination, le fait de partager son savoir-faire, sa religion, etc. Tout ceci est également censuré, très rapidement.
Pour normaliser la censure, l’État commence à expliquer qu’il a besoin de protéger les gens des dangers de la pornographie, ou des contenus sexuels explicites, qu’il présente comme un « devoir », et puis cela devient la norme. Puis, au fur et à mesure, la censure de l’Internet devient peu à peu la norme. Et personne ne se demande en quelle mesure cela influe sur ceux qui dépendent vraiment de l’Internet pour accéder à toutes sortes d’informations, communautés, ou pour être capables d’exprimer certaines choses qui sont censurées dans la vie quotidienne, et qui ne sont pas considérées comme importantes d’un point de vue politique. Par exemple, les propos relatifs au sexe et exprimés par des femmes, des filles, des LGBTQ, etc.
C’est pour ça qu’on voulait faire ce projet, enquêter à ce sujet, aller voir des gens dans différents pays, pour savoir comment elles le vivaient, ce que cela signifiait pour elles. Quand vous être filtré ou censuré, ou quand votre propos est bloqué, comment cela se passe, et qu’est-ce que cela change dans votre vie ? C’est pour ça qu’on a lancé ce projet.
En Inde, par exemple, nous avons fait beaucoup d’interviews avec des jeunes filles à Bombay, ainsi qu’avec des jeunes garçons, et nous leur avons demandé comment ils utilisaient l’Internet, et notamment comment ils s’en servaient pour exercer leurs droits en matière de sexualité. Et nombreux sont ceux qui nous ont répondu que, dans la mesure où l’éducation sexuelle est interdite, en Inde, et qu’ils n’ont pas d’éducation sexuelle à l’école, les seules informations qu’ils peuvent trouver, en matière de contraception, de pratiques à risques, ou sûres, de choses à faire avec son corps, quand on grandit… parce qu’on ne peut pas demander à des amis, parce que c’est gênant, donc le Net est souvent le seul endroit où ils peuvent s’informer, et donc prendre des décisions, sur ce qu’ils peuvent faire, ou non. C’est une des choses que nous avons découvertes, et c’était très intéressant.
En Afrique du Sud, nous avons été voir la communauté des transgenres, en transition sexuelle, et nous avons découvert que l’Internet leur permettait d’entrer en contact avec leur communauté, de les aider à penser leur identité, leur langage, leur façon de parler d’eux-mêmes et de se définir, mais également de se renseigner sur les procédures médicales, celles qui sont sûres, ou bien à risque, les discriminations dont ils font l’objet, et donc aussi de se soutenir les uns les autres, et donc de trouver une communauté qui vivent les mêmes choses que vous, et de confronter les réalités de chacun.
Aux USA, nous sommes allés voir des enfants, et avons fait une recherche sur les bibliothèques. Si vous recevez une subvention de l’administration, vous devez installer un système de filtrage sur les ordinateurs pour protéger les enfants des contenus sexuels explicites. Et nous avons découvert que toutes les bibliothèques ne procèdent pas de la même sorte. Dans certaines, il est relativement facile de se connecter, dans d’autres il n’y a aucun accès, ou alors c’est assez compliqué.
Mais le plus intéressant, c’est de voir qui a vraiment besoin d’aller en bibliothèque pour accéder à l’Internet : les pauvres, qui n’ont pas d’accès Internet à la maison, et ceux qui parviennent à surmonter ces blocages, à contourner les systèmes de filtrage, sont ces enfants qui ont déjà un certain niveau d' »alphabétisation numérique », et donc les gens qui seront les plus affectés par ces mesures de filtrage et de blocage sont les pauvres, et les enfants pauvres, ou les enfants qui n’ont pas de compétence particulière, donc c’est une forme de double discrimination : la loi est censée les protéger, mais elle finit par leur nuire…
Il faut vraiment remettre en question cette façon qu’à l’Etat de vouloir empêcher les citoyens de pouvoir accéder à des contenus « préjudiciables », et assumer qu’ils ne sont pas si préjudiciables, pour se demander ce qui est vraiment préjudiciable, et pour qui cela peut poser problème, parce qu’il y a énormément de contenus qui peuvent sauver des vies, qui sont vraiment importants, mais qui sont interprétés comme « préjudiciables ». Et c’est ce que nous essayons de déconstruire.
Crédit : Source > http://lesinternets.arte.tv/answer/censure_potentielle