« data is the new oil »

NDLR: Ceci est un article de Laurent Nicolas, rédacteur en chef du site Taurillon.org. L’article est sous License Creative Commons BY-ND. Vous pouvez également le consulter à la source >http://www.taurillon.org/4730. Bonne Lecture !

Neelie Kroes 2010-09-14

Le 12 décembre 2011, la Commissaire européenne à la stratégie numérique Neelie Kroes a lancé un grand projet pouvant rapporter près de 40 milliards d’euro par an à l’économie de l’Union. Les administrations publiques sont assises sur une mine d’informations qui peuvent être utilisées par le grand public et donner naissance à de nombreuses initiatives améliorant le quotidien des européens. Neelie Kros nous explique sa stratégie et l’opportunité que cette ouverture offre à notre économie en crise.

Laurent Nicolas : Pourquoi la Commission européenne est-elle intéressée par les « données ouvertes » ? Sont-elles, comme certains le disent, le nouveau pétrole ?

Neelie Kroes : Ce qui est le plus intéressant pour la Commission européenne, c’est qu’avec les données, on peut faire énormément à partir de si peu ! Libérer l’accès aux données qui sont d’ores et déjà en notre possession, celles pour lesquelles les contribuables ont déjà payé, cela renforce la transparence. A notre connaissance, c’est aussi le moyen le moins coûteux pour débloquer le potentiel d’innovation.

Oui, pour nous, les données sont un nouveau pétrole. Elles sont la matière première de l’industrie de l’information, tout comme le pétrole est la matière première de l’industrie du carburant ou des plastiques. Les données sont partout, elles sont bon marché, et peuvent entrainer des retours énormes, aussi bien sur le plan financier qu’en terme de services rendus. De nouvelles activités peuvent se développer en s’appuyant sur ces données, sur la capacité à les analyser ou les visualiser.

La libération des données est un outil puissant pour bâtir de meilleurs services, car elle favorise la construction de politiques publiques fondées sur des preuves et améliore l’utilisation des informations générées par les usagers eux-mêmes. Nous constatons déjà ces effets, au travers d’applications qui augmentent l’information générée en public ou en privé. C’est ce que fait par exemple Wheelmap.org en aidant les personnes handicapées à se déplacer au sein de leurs communautés, ou cette application développée en Estonie qui permet aux usagers d’envoyer aux services municipaux une photo géo-localisée d’un problème d’ordure. De manière générale tout ce qui concerne l’évaluation et les services liés à l’environnement pourrait être grandement améliorés grâce aux données.

L.N : Quel type de données faut-il rendre accessible et pourquoi ? A l’inverse, y a-t-il certaines données publiques qui ne doivent pas être libérées ? Qu’en est-il des données du secteur privé ?

N.K : Il incombe à chaque État membre de décider précisément les données qu’il entend rendre accessible. Il y a cependant certaines limites évidentes à l’ouverture, je pense par exemple aux données commerciales confidentielles ou à tout matériel protégé par le droit d’auteur. Les informations personnelles telles que celles concernant la santé ne sont, à l’évidence, pas concernées. Ce que nous affirmons, en revanche, c’est que les autorités publiques devraient grandement élargir le volume de données qu’elles rendent publiquement accessibles et ce tout en s’assurant que les termes d’utilisation de ces données sont les mêmes pour tous.

Les registres d’activité économique notamment, ont été à l’origine de nombreuses entreprises rentables au cours des vingt dernières années et ont permis de beaux exemples de transparence comme OpenCorporates.com.

Deux autres exemples notables nous viennent du Danemark et de la France —qui vient d’ailleurs de lancer data.gouv.fr en décembre 2011. La Danish Enterprise and Construction Authority (DECA) a vu le nombre d’utilisateurs de ses données augmenter de 10 000 % après avoir abaissé les coûts d’accès à ces données. Cette hausse a permis de créer un marché 10 fois plus important qu’au cours des 8 dernières années. Les activités économiques qui se sont développées autour des données de la DECA ont permis de générer, au bout du compte, une augmentation des revenus fiscaux 4 fois supérieure à ce qu’avait coûté initialement la baisse du prix d’accès aux donnés.

Baisser les charges qui pèsent sur l’accès aux données permet de faire entrer de nouveaux utilisateurs, à commencer par les PME. En France, le SIRCOM, le service de la communication du ministère de l’économie et des finances, collecte sur une base régulière les données concernant le prix des carburant. La société de capital-risque NAVX, active dans le domaine des services géolocalisés, a acheté au SIRCOM une licence pour utiliser ces données. NAVX a amélioré la précision géographique des données du ministère et les a actualisées. Ces données enrichies ont ensuite été réutilisées par NAVX dans ses applications GPS et smartphones, et ainsi revendues. La société met l’accent à la fois sur une activité B2C, en vendant ses applications directement aux utilisateurs finaux, et sur une activité B2B2C en fournissant ses propres données enrichies aux entreprises spécialisées dans l’information géolocalisée, aux fabricant des GPS ou aux opérateurs mobiles. En construisant ainsi un marché solide en France, NAVX a été en mesure de s’étendre en Europe et opère désormais dans au moins 8 pays européens différents.

L.N : Avez vous mesuré les retombées économiques de la stratégie européenne d’Open data ? Pouvez-vous nous parler de ces chiffres ? Envisagez vous de lancer une étude économétrique pour mettre vos chiffres en perspective et éclairer les parties prenantes, les investisseurs ?

N.K : La Commission européenne a travaillé avec Graham Vickery, qui dirige la section Economie de l’information au siège de l’OCDE, à Paris : nous attendons en effet des bénéfices importants. À l’heure actuelle, le marché de l’information publique représente 30 milliards d’euros par an. Mais en rendant le marché plus ouvert, les données plus accessibles, les retombées économiques globales à attendre du marché de l’information publique sont estimées à 40 milliards d’euros par an.

Mais comme le souligne Vickery, les gains les plus importants sont les gains indirects de cette ouverture, comme le fait de faciliter l’innovation par exemple. En additionnant les bénéfices indirects de l’ouverture des données publiques, le marché pourrait atteindre un volume de 140 milliards d’euros par an. Nous ne pouvons pas prévoir ce qu’il adviendrait dans les moindres détails —ce qui est une très bonne chose— mais nous savons simplement que si les gens ont accès aux données publiques, ils en feront le meilleur usage.

Nous serions évidemment ravis de voir les parties-prenantes utiliser nos prévisions pour nous aider à les affiner ! Mais notre priorité aujourd’hui consiste à instiller un changement culturel dans l’administration ainsi que dans la réglementation en vigueur dans les Etats-membres afin que les Européens puissent davantage mesurer l’impact de l’ouverture des données publiques dans leur quotidien.

L.N : Comment s’assurer que l’ouverture des données publiques en Europe ne va pas profiter à ceux qui ont la plus grande capacité à traiter ces données, à savoir les multinationales américaines des technologies de l’information ? Autrement dit, comment construire une filière économique européenne qui amène de la croissance et des emplois… en Europe ?

N.K : La chose la plus importante est de rendre l’information disponible dans des conditions égales pour tous et pour un coût réduit. La plupart des données seront gratuites ou très peu chères. Il est aussi primordial que les utilisateurs potentiels aient une possibilité de recours s’ils estiment que le coût des données n’est pas équitable.

Les ré-utilisateurs auront une possibilité de recours auprès d’une autorité indépendante. Nous voulons faire en sorte qu’en cas de litige, il incombera à l’autorité publique d’apporter la preuve que le coût d’accès aux données est conforme aux principes de la directive.

Il faut garder en tête une chose : l’ouverture des données est un facilitateur. Le gouvernement ne peut pas faire tout le travail : nous avons besoin d’entrepreneurs qui se lancent pour tirer le marché vers le haut. Notre rôle est d’aider, d’accompagner, mais le vrai progrès ne viendra pas de moi, mais des lecteurs de cet article !

via @epelboin

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