Des signaux plutôt que des conversations ?

NDLR: ceci est un billet de Bertrand Duperrin extrait de son son blog. L’article est sous licence Creative Commons BY-NC-SA.

Vous pouvez également le lire à la source > http://www.duperrin.com/2011/11/15/des-signaux-plutot-que-des-conversations.

Bonne lecture !

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Résumé : l’entreprise va devoir rentrer dans le monde de la conversation. Tout ne sera plus que conversations entre entreprises, salariés et clients. Un concept qui, mal présenté, fait peur à beaucoup d’entreprises car on omet souvent de parler de la nécessité de rendre les conversations actionnables. De plus le salarié est mal à l’aise avec l’attitude conversationnelle dans le cadre de son travail.Un problème d’attitude, soit, mais également un problème de sens, d’organisation, de temps, d’outils..et un problème humain tout court.

Le monde professionnel n’a pas tant besoin de conversations que de signaux qui contribuent, a minima, à l’ambient awareness de l’organisation et peuvent largement se suffire à eux même. La conversation peut en découler mais elle n’est pas indispensable. Et, en tout cas dans l’état actuel de maturité, les collaborateurs seront beaucoup plus à l’aise avec des logiques de signaux courts factuels pouvant déboucher sur des conversations que sur une approche directe de la conversation.

Car si “les marchés sont des conversations”, il est temps d’ouvrir des yeux pour réaliser que l’entreprise n’est pas (encore ?) un marché. Et, de leur coté, les clients semblent préférer les logiques de résultat à la conversation sociale

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Demain tout ne sera que conversations. Qu’il s’agisse de l’internet qui ne sera que conversations entre internautes et entre internautes et entreprises où de l’interne entre salariés et entre entreprise et salariés. L’entreprise se doit donc de rejoindre le monde de la conversation et de favoriser les conversations avec et entre tout le monde. Alors bien sur dans le petit monde des “initiés” tout le monde comprend clairement ce qui se cache derrière ce raccourci réducteur (enfin..quoique…). Mais lorsqu’on tient ce discours devant de vraies entreprises il n’est pas rare de perdre son auditoire en cours de route voire de susciter quelques sourires pour cause de discours inadapté.

Alors, bien évidemment, on dira que l’entreprise se base sur de vieux référentiels et qu’elle n’a pas compris le “nouveau monde” qui s’annonce. Il y a certainement un peu de vrai là dedans mais cela n’explique pas tout et ne doit en aucun cas être l’excuse facile qui empêche d’avoir un regard critique sur le contenu de certains concepts et la manière dont on les explique.

Mettons nous deux minutes à la place du dirigeant ou du manager qui imagine un monde professionnel où tout le monde passerait son temps dans des conversations. Il y voit simplement une perte de temps, de productivité, des gens qui passent leur temps à papoter. Alors bien sur ils n’ont pas compris…Mais ils n’ont pas tort non plus. Engagement et conversations : même combat. Ils ne valent que lorsqu’ils sont “actionnables”, autrement dit qu’ils sont :

  1. – une composante de dispositifs concrêts (marketing, innovation, service client, résolution de problème etc…) et non pas un plan de type “conversons, conversons, on verra bien à quoi raccrocher le wagon”.
  2. – liés à un dispositif d’empowerment : la conversation apporte au salarié qui y participe un stimulus éxogène qui doit, le plus souvent, être suivi d’une action. Si le collaborateur n’est pas en mesure d’agir suite à la conversation, celle-ci ne sert à rien et peut même créer la déception chez ceux qui y participent. Et même si le “seul” apport de la conversation se situe au niveau du savoir, encore faut il que le collaborateur puisse mettre ce savoir en œuvre  dans le futur et se soit pas enfermé dans les logiques lui imposant le recours à des savoirs validés et codifiés.

Mais ça n’est pas tout. Conversation signifie un enchainement d’échanges dans la durée, une envie d’échanger de manière désintéressée ou avec un objectif. Les entreprises n’ont dès lors plus qu’un objectif : il faut stimuler les conversations, il faut faire en sorte que les gens se parlent. Ce rôle échoit en général au GO community manager de service. Prenons un peu de recul et prenons la mesure de cette absurdité : si on désire que les gens se parlent et qu’ils ne le font pas, pensez vous une seule seconde, avec tous les outils à leur dispositions, qu’un réseau social interne (pour les collaborateurs), ou des communautés facebook ou autre (pour les internautes) animées à grand brassage de vent par quelqu’un qui a pour mission de faire se parler les gens arriveront à accomplir ce miracle. Si la conversation n’a ni intérêt ni sens, le meilleur outil et le meilleur CM n’y changeront rien. Le problème est ailleurs.

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Le collaborateur n’est pas à l’aise avec l’approche conversationnelle

Et puis est on certains que les gens recherchent les conversations ? Rien n’est moins sur. Pour des raisons de sens tout d’abord, mais tout également pour des raisons d’attention, de temps. Je ne suis pas sur que celui, client ou salarié, qui lance une bouteille à la mer, attende une conversation. Il attend une solution. Et si elle peut arriver sans palabre c’est encore mieux. Je ne suis pas certain non plus que le “récepteur” attende une conversation non plus. Il attend parfois un signal. Et surtout rien de plus.

C’est la promesse première des outils centrés sur les statuts courts (twitter, facebook dans une certaine mesure…) où des outils de géolocalisation à la Foursquare. “Je fais ci”, “je suis là”. Point. En tant que récepteur ces signaux me suffisent dans 99% des cas. Ce sont des outils d’”ambient awareness” qui sont un peu comme un 7e sens numérique qui me permet de percevoir mon environnement, me positionner et agir par rapport à lui. Il arrive  que ce signal puisse donner lieu à une conversation…mais il arrive souvent qu’il se suffise à lui-même. Au delà du fait d’avoir l’air de jouer avec des concepts, tout cela a une importance réelle dans la manière dont on structure l’activité collaborative ou, plus justement, ce qu’on appelle l‘open work. Il est, en effet,  un fait acquis : les collaborateurs ne sont pas du tout à l’aise avec cette idée de générer des conversations. Cela implique du temps, un certain style d’écriture et, quelque part, l’idée de s’exposer. Par contre émettre un signal et répondre à celui qui réagit est moins exposant car le signal est plus factuel, moins engageant, et le fait que d’autres y réagissent montrent qu’il était intéressant, ce qui rassure l’émetteur et le met en confiance.  Donc, sachant qu’il y aura toujours un petit pourcentage de gens pour qui la “conversation” est facile et qui savent en faire un bon usage dans le cadre de leur travail et qu’il convient donc de faire porter toute notre attention sur les autres

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Le “signal social” précède la conversation et peut se suffire à lui-même

  1. – il est plus facile de sensibiliser le collaborateur à l’art du message court factuel qu’à celui du message plus construit et “exposant” qui initie une conversation. Il faut donc ne pas mettre dans la tête des collaborateurs qu’ils doivent penser toute émission de message comme la première étape d’une conversation (qui risque de ne pas avoir lieu) et les obliger à modifier leur style d’expression pour rien. Ce simple changement de posture entre l’émission d’un signal et l’ouverture d’une conversation est un vrai point bloquant au niveau comportemental. Mettez vous à leur place et comprenez qu’entre “démarre des conversations” et “signale factuellement ce que tu fais” il y a un fossé.
  2. – dans ce contexte, si la conversation ne démarre pas (ce qui arrive très souvent, surtout au sein de l’entreprise), il se sera ni frustré ni déçu car il n’attendait pas spécialement de réaction. Il informait, un point c’est tout.
  3. – le signal court factuel peut largement suffire à ses récepteurs. Il ne faut pas croire que tout va ou doit déboucher sur un échange. En plus cela permet d’économiser l’attention des uns et des autres.
  4. – c’est l’occasion également de tirer un maximum des synergies possibles entre outils métiers et outils sociaux. Faire quelque chose dans un outil métier et aller ensuite le narrer ailleurs est chronophage et contre-intuitif. Par contre faire en sorte que les actions réalisées dans l’outil métier génèrent des signaux dans la plateforme sociale, que ces signaux contribuent à l’”ambiant awareness” des autres et soient, éventuellement source d’un échange, est une bonne base pour amorcer la pompe sans demander d’effort. 95% des collaborateurs ne se préoccupent que de l’outil métier et n’iraient jamais raconter ailleurs les événements et actions qu’ils y consignent car c’est redondant…et qu’ils n’ont pas le temps ni les prédispositions pour se lancer dans le narratif. Par contre si quelqu’un réagit à un signal partagé, ils rentreront plus facilement dans l’échange avec celui qui vient proposer son aide pour avancer sur une opportunité commerciale qui n’avance pas, une recherche d’information pour prendre une décision etc… C’est d’ailleurs la voie prometteuse que l’on voit emprunter par Tibbr, IBM (Vulcan) ou Salesforce (Chatter). Ce dernier illustre à merveille mon propos : “socialement” parlant l’outil est…disons relativement fruste et limité à l’essentiel. Par contre sa capacité à partager les signaux d’une activité commerciale aujourd’hui et autre dans le futur nous promet on vise en plein dans le mille.

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Les marchés sont des conversations mais l’entreprise n’est pas un marché

Un dernier point pour terminer. On ne manquera pas de me faire remarquer que j’enfreins la parole biblique du Cluetrain Manifesto qui énonce avant toute chose que les marchés sont des conversations. A cela je répondrai trois choses :

  1. – vu sous un certain angle les marchés sont des conversations. Mais ils ne sont pas que cela et prendre un discours à vocation inspirationnelle trop au pied de la lettre nous fait méconnaitre la complexité des choses.
  2. – comme je le mentionnais dans des billets précédents (et a fortiori celui-ci), il est de plus en plus prouvé que les clients ne recherchent pas de relation communautaire, de rapport profond avec l’entreprise mais simplement de l’information et du service. Dans un secteur d’activité comme l’aérien, une analyse quantitative de l’activité sur twitter montre que les “conversations sociales” ne concernent que…..0,02% des échanges.
  3. – pour ce qui est de l’interne…l’entreprise n’est pas un marché. L’allocation des ressources (dont Goldratt nous a appris qu’elle tuait la collaboration), la lourdeur des dispositifs RH et une foule de choses font que l’entreprise n’est, malheureusement, pas aujourd’hui un marché aux compétences et expertises, Graal de l’intelligence collective et de l’économie du savoir. Le jour où elle le sera je réviserai mon jugement sur ce point. Mais on en est à des années lumières.

Apprenons à émettre des signaux et donnons nous les moyens d’y réagir efficacement. Ce sera toujours un bon début et un socle commun minimum pour tous. Si les conversations doivent arriver elles arriveront. Mais les rechercher à tout prix, les créer le cas échéant et, au final, en faire un objectif en soi apportera surtout des déceptions et gâchera des énergies et une motivation qui pourraient être plus utilement utilisées ailleurs.

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