L’émergence de la data politique expérimentale et scientifique

Une chronique consacrée à la « data politique » de ce qui s’annonce peut-être comme une ère post-think tank, ou peut-être parlera-t-on bientôt de data-tank.

Cette idée fait suite à une réflexion du toujours intéressant Nicolas Colin sur Facebook qui me faisait remarquer hier la sortie à venir d’un ouvrage américain de Sasha Issenberg intitulé « The Victory Lab », lequel a eu la bonne idée d’en mettre en ligne un passage consacré à la stratégie de campagne innovante du très médiatique candidat républicain Rick Perry.

(ndlr:  le texte en dessous de la chronique est l’oeuvre de son auteur, c’est à dire M.Jean-Baptiste Soufron, qui est le descriptif dans la vidéo youtube. Et comme je ne sais pas l’état juridique du texte (protéger etc.) si j’ai une demande de retrait, je l’enlèverais of course.)

Car comme vous le savez, ce ne sont pas moins de deux campagnes présidentielles qui auront lieu en 2012, et il ne fait aucun doute que toutes les équipes de campagne françaises ne manqueront pas de s’inspirer de leurs homologues américaines.

Essayons donc d’être éclairants, mais est-ce vraiment possible ou comme en matière d’innovation, existe-t-il un gap qu’il nous sera difficile de franchir ? Est-il envisageables en France d’appliquer des méthodes de campagne post-moderne alors que nous en sommes encore à rattraper le concept des think tanks des années 70 ?

Chronologiquement, Rick Perry a commencé à faire des campagnes assistées par ordinateur en 1988 quand une de ses équipes avait tenu à jour une base de données de tous les soutiens de ses adversaires, ce qui leur avait permis de les contacter en urgence le jour où l’un d’entre eux avait fiat le choix de laisser tomber. Imaginez par exemple que les équipes de Ségolène Royal aient eu en main les listes de soutien de François Bayrou et qu’ils aient pu les contacter sans attendre la décision de leur leader.

Mais bien au-delà, on assiste maintenant par exemple à la géolocalisation des invitations de meeting afin de savoir quelle est la distance optimum à laquelle les militants se déplacent — permettant ainsi d’organiser le meilleur nombre de meetings et de gérer leur répartition géographique autrement qu’en fonction des querelles de clocher internes aux partis.

De même on voit désormais des testings dits A/B et des annonces randomisées, c’est-à-dire qu’on envoie plusieurs versions du même texte à des groupes de personnes choisis totalement au hasard avant de mesurer leur réaction — permettant ainsi de sélectionner quelles sont les versions qui fonctionnent le mieux. Mais le développement de ces méthodes rencontre une opposition forte des cadres politiques en place qui voient leur autorité remise en cause. Comment un peu de méthode scientifique pourrait-elle se révéler plus importante que le charisme si fascinant de nos chers candidats ?

Et dans notre époque cynique où chaque citoyen peut être bloggeur, et où chaque bloggeur peut-être analyste politique, est-ce que les campagnes servent vraiment à quelque chose ? Par exemple, la présence physique d’un candidat a-t-elle vraiment un impact ? Et quels types de messages faut-il envoyer ? Lettre de candidat ? Simple rappel des horaires de vote ? Ou même un questionnaire prétendant demandant aux gens comment et à quel heure ils préféreraient voter (+10% !) ?

En fait, et contrairement aux sondages, ces méthodes permettent aux politiques et à leurs équipes de ne pas seulement comprendre combien de gens vont voter, mais surtout pourquoi ils votent. Et ce n’est pas un hasard si ce sont les mêmes chercheurs qui essaient par exemple de comprendre comment les gens choisissent leurs films en ligne sur Netflix. Plus qu’une question de technologie, c’est une question d’état d’esprit. Pour reprendre Rivkin qui est aujourd’hui à la mode, c’est le passage d’une civilisation de la mythologie, idéologie, théologie à la prise de la psychologie et d’une nécessaire empathie.

Mais cette évolution cela fait déjà plusieurs années que les équipes américaines l’ont mises en place. Alors que je faisais des recherches je suis ainsi tombé sur un ancien article du toujours très intéressant blog de Maurice Ronai, Travaux Publics, ou celui-ci présentait plusieurs vidéos des directeurs de campagne de John Mac Cain et Obama — expliquant point par point la tactique et la stratégie de leurs candidats avec force diagrammes et powerpoints pour essayer de convaincre.

Comme ils le disent eux-mêmes, les sommes dépensées sur chaque cycle électoral sont considérables, véhiculent des enjeux énormes pour l’ensemble de la société et mobilisent des équipes très importantes. Dans ces conditions, on ne pardonnerait à aucune entreprise de prendre des décisions aussi pifométriques et d’être si peu accountable ¬– c’est à dire responsable — et de conserver des méthodes aussi opaques.

Mais bien sur, rien ne remplacera jamais le charisme de nos candidats. …

Jean-Baptiste Soufron.

Chronique France Culture du 25 Aout 2011

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